Enfance > Initiatives, idées, débats Témoignage > La délicate annonce de l’handicap d’un enfantQuand j’emploie là le mot "professionnel", je pense aux psychologues, bien sûr, mais aussi aux médecins, aux professionnels de la petite enfance, aux enseignants, à tous ceux qui, par leur profession, leur statut ou leur fonction, sont à même de repérer, diagnostiquer ou seulement s’inquiéter d’une situation ou du développement ou du comportement d’un enfant. Oui, des professionnels se défilent. Parce que peur de ne pas savoir gérer la réaction des parents, parce que pas certains de leur "diagnostic", parce que pas convaincus de la légitimité de leur inquiétude... laissant par là-même des parents dans l’inquiétude, voire dans l’ignorance, et au demeurant l’enfant dans une situation qui ne peut a priori qu’empirer. Alors Ne vous inquiétez pas, ça va passer tout seul, ou ça viendra bien, ou encore Vous savez, il suffit d’un déclic, ou Revenz me voir dans un an, en espérant que les parents auront découverts seuls ce que le professionnel avait déjà vu mais n’avait pas osé dire. Je suis en général assez tolérant envers les imperfections humaines, et en matière d’imperfections, celle qui consiste à ne pas pouvoir dire les choses est très répandue. Mais je deviens vite intolérant en ce qui concerne l’irresponsabilité professionnelle. Je m’explique : Les parents confient à longueur de journée leurs enfants à des professionnels : Educatrices de jeunes enfants, puéricultrices, enseignants, et dans une moindre mesure médecins et autres professionnels de soins et de santé... Parfois il est clair qu’ils en attendent un diagnostic, comme chez le médecin par exemple, parfois ils n’en attendent rien d’autres qu’une prise en charge (crèche, école...), du moins officiellement. Ils n’attendent en effet pas formellement que l’éducatrice de la crêche les informe de son inquiétude à elle et de l’équipe quant à... un éventuel trouble de l’audition ou du développement de leur enfant. Et pourtant ! Et pourtant je suis convaincu que c’est le travail de tout professionnel que d’informer les parents de ses éventuelles inquiétudes quant à un enfant. Je suis aussi convaincu (mais c’est le dialogue "après-coup" avec les parents qui permet de le dire) que souvent, très souvent les inquiétudes du professionnel viennent conforter le parent dans son inquiétude (le conforter dans la légitimité de son inquiétude -ce qui signifie pour le parent qu’il n’est pas "fou"). Et je suis convaincu enfin que le parent attend du professionnel un avis, un regard, une parole sur son enfant, cette parole fut-elle désagréable. C’est ce que je renvoie aux personnels des crêches avec qui je travaille : les parents attendent de vous que vous leur disiez quelque chose de leur enfant. Et qu’il soit plus agréable de s’entendre dire Votre enfant va bien plutôt que Nous sommes inquiets pour votre enfant n’y change rien et n’est pas la question. J’ai dernièrement reçu un très jeune garçon manifestement autiste -enfin, le "manifestement" est peut-être de trop. Toujours est-il que ce jeune garçon m’a semblé, dès le début de l’entretien avec les parents (lui jouait au pied de ses parents), en proie à de très sévères troubles que je qualifiai très vite d’autistiques. Décidé à au moins employer le mot au cours de notre entretien, je m’inquiète auprès des parents des démarches déjà faites par eux auprès de médecins ou pédo-psychiatres, ouvrant la porte au mot -déjà au mot- "autisme" qu’il fallait bien que j’emploie. A la demande expresse du papa, je lui fais part de mon inquiétude, tout en leur conseillant de prendre contact avec le service de pédo-psychiatrie pour un vrai diagnostic. Et le papa, comme la maman d’ailleurs, de s’écrier en choeur Au moins vous vous nous dites les choses. Et de me raconter comment leur médecin de famille avait toujours refusé de se prononcer ni même de les adresser à un psychiatre pour évaluation. Oui, cet enfant était/est autiste, et aujourd’hui est scolarisé dans un centre spécialisé. Mais leur médecin n’avait jamais pu/su/voulu leur en parler. Et ils ont été laissés seuls avec leur inquiétude, avec en plus cette terrible question dans leur for intérieur : Sommes nous "fous" de penser ce que nous pensons ? Je me rappelle aussi de ce garçon de deux ans pour lequel je suspectais une surdité (mais suis pas médecin moi !) et à qui j’ai conseillé aux parents de consulter. Cet enfant grandissait hors des autres, sans sourire, quasiment sans relation avec ses parents. Ici, pas d’autisme, mais une surdité profonde dont personne n’avait parlé aux parents ni même évoqué la probabilité. Pas par non-savoir, pas par non-repérage, mais par peur de la réaction parentale. Il n’est pas facile de dire à des parents que leur enfant va mal, a un retard de développement ou un trouble majeur du comportement, il n’est pas facile de casser leur rêve d’enfant idéal, de mettre le doigt là où ça fait mal ou de partager avec eux l’inquiétude et le questionnement que nous pouvons avoir au sujet de leur enfant. Pas facile mais professionnel. Et si je peux excuser les amis ou la famille de ne pas trop dire les choses, je n’excuse pas les professionnels. Comme je n’excuse pas ce médecin qui, témoin professionnel de sévices à enfant, a préféré se taire ("quand on met le doigt dans un signalement, on sait pas où ça s’arrête" s’était-il excusé) et m’adresser le petit pour troubles du comportement. Sans doute en espérant que le psy saurait mieux faire les choses. Au final et pour en revenir à mes moutons, j’invite seulement les professionnels à être professionnels. A faire leur boulot de pro. D’autant plus que les parents attendent cela de nous. » Consulter la source de l’article |